Combattre la mésinformation à propos du nucléaire

Installée au Royaume-Uni, Zion?Lights est une spécialiste primée de la communication scientifique qui est connue pour son engagement en faveur des énergies propres, en particulier l’énergie d’origine nucléaire. Dans le présent entretien avec l’AIEA, elle aborde le thème de la mésinformation et de la désinformation à propos de l’énergie nucléaire.

La mésinformation et la désinformation, sous l’une ou l’autre forme, existent depuis très longtemps. En quoi la situation est-elle différente aujourd’hui ?

L’histoire regorge d’exemples de désinformation, qui est relayée dans le but de tromper –?des empereurs romains qui influen?aient l’opinion publique au moyen d’inscriptions sur les pièces de monnaie aux nazis qui utilisaient la radio et le cinéma pour diffuser leur propagande. Et nous avons toutes et tous constaté les effets néfastes de la mésinformation, que l’Organisation des Nations Unies définit comme la diffusion non intentionnelle d’informations inexactes mais partagées de bonne foi par des personnes qui ne sont pas conscientes de la nature de ces informations.

Aujourd’hui, ce sont les médias sociaux qui font toute la différence en diffusant de fausses informations instantanément et à l’échelle mondiale. En tant que plateformes d’information de premier plan, ils ont bouleversé notre accès à l’information et remodelé le degré de confiance que nous lui accordons. Pour contrer cette tendance, nous devons comprendre pourquoi nous sommes si vulnérables.

Pourquoi pensez-vous que les gens sont si sensibles à la mésinformation ?

Pas moins de 188?biais cognitifs influen?ant leur perception ont été répertoriés. Ces biais, qui sont le fruit de nos expériences et émotions passées et agissent comme des raccourcis cognitifs, nous permettent de traiter plus facilement les informations. Cependant, ils renforcent souvent nos croyances existantes, ce qui nous amène à prendre des mensonges pour des vérités.

Pouvez-vous nous en donner quelques exemples ?

Certainement, parmi ces biais cognitifs on peut citer?:

? Le biais de confirmation?: chercher des informations qui confirment nos croyances.

? Le biais d’ancrage?: trop miser sur les premières informations re?ues.

? Le biais de disponibilité?: croire ce qui est le plus facile à retenir.

? Le biais de familiarité?: croire qu’une information est véridique parce qu’on l’entend souvent.

Quels sont les autres facteurs qui contribuent à la mésinformation ?

La répétition renforce la mésinformation. Plus un mensonge est répété, plus il para?t crédible. En psychologie, ce phénomène connu sous le nom d’??effet de vérité?? explique pourquoi un mensonge est plus facile à retenir que des informations scientifiques complexes. La manière de présenter les informations joue également un r?le déterminant. Pendant des dizaines d’années, les opposants à l’électronucléaire ont alimenté les craintes concernant les déchets nucléaires. Des slogans faciles à retenir mais trompeurs peuvent fa?onner l’opinion plus efficacement que des faits nuancés.

Comment traitez-vous la mésinformation à propos du nucléaire dans vos propres travaux ?

J’utilise des phrases concises et accrocheuses telles que ??ce n’est un déchet que si vous le gaspillez?? et ??pendant ce temps, les déchets issus des combustibles fossiles s’accumulent dans l’atmosphère terrestre??. à la fois exacts et ??tenaces??, ces slogans sont à présent largement répandus.

Au départ, certains scientifiques se sont opposés à mes slogans, préférant les articles scientifiques aux messages simples. Cependant, lorsqu’ils sont fondés sur la vérité, les slogans sont efficaces. Des expressions telles que ??le nucléaire sauve des vies?? et ??l’énergie nucléaire est une énergie propre?? contribuent à faire évoluer les mentalités.

Pourquoi les faits à eux seuls ne suffisent-ils pas ?

La communication scientifique est un domaine à part entière, mais de nombreux scientifiques n’y sont pas formés. Par conséquent, ils s’appuient souvent sur une approche dépassée, connue sous le nom de ??modèle du déficit??, et partent du principe que diffuser un plus grand nombre de faits fera évoluer les mentalités. Mais les croyances sont fa?onnées par des facteurs cognitifs, sociaux et émotionnels. Se borner à fournir des données supplémentaires est souvent inefficace.

Pourriez-vous définir la technique du ? pré-bunking ? et expliquer comment elle contribue à la lutte contre la mésinformation ?

Le pré-bunking permet de lutter contre la mésinformation. On peut le voir comme un ??vaccin cognitif?? contre la propagande. Cette approche a été proposée pour la première fois dans les années?1960 par le psychologue William?J.?McGuire, qui a émis l’hypothèse que les gens pouvaient apprendre à repérer la propagande s’ils en étaient avertis au préalable. à quelques exceptions près, cette approche s’avère largement concluante.

Le pré-bunking consiste à présenter des informations factuellement correctes en les accompagnant d’une correction préventive ou d’un avertissement générique sur la mésinformation avant que le public ne soit exposé à des informations erronées. Il faut donc réfléchir aux objections qui pourraient être soulevées à l’égard des informations factuellement correctes afin d’atténuer la portée des contre-messages.

Pourriez-vous décrire comment fonctionnent les techniques plus avancées telles que la théorie de l’inoculation ?

Les techniques de pré-bunking plus avancées se fondent sur la ??théorie de l’inoculation??, qui consiste à exposer les gens à des formes de persuasion plus faibles, leur permettant de comprendre comment les techniques de persuasion trompeuses sont utilisées et de s’immuniser contre les arguments plus convaincants en faisant preuve d’esprit critique. Il a été démontré que cette technique permettait de détecter bien plus correctement des informations erronées. En comprenant comment les techniques de persuasion trompeuses sont utilisées, tout un chacun peut développer les outils cognitifs nécessaires pour se prémunir contre de futures campagnes de mésinformation. Des études ont également montré que ce type d’inoculation sur un sujet donné pouvait aider les gens à repérer les informations erronées dans d’autres domaines.

Quel r?le l’éducation joue-t-elle dans le renforcement de la résistance à la mésinformation ?

L’éducation peut et doit jouer un r?le important. Pour lutter contre la propension à croire les informations fausses, l’éducation aux médias et à l’esprit critique devrait être intégrée dans les programmes scolaires. L’esprit critique aide à évaluer les informations de manière efficace, tandis que l’éducation aux médias aide à s’y retrouver entre les plateformes et les sources d’information.

Avez-vous déjà personnellement changé d’avis en raison d’une information de meilleure qualité ?

Nous avons toutes et tous été touchés par la mésinformation à un moment ou à un autre, et nous y demeurons vulnérables. Il m’a fallu de nombreuses années pour changer mon point de vue sur l’énergie nucléaire. L’exposition à de meilleures sources d’information et à des perspectives différentes m’a permis de passer de l’opposition à l’adhésion. La lutte contre la mésinformation exige patience et persévérance. Cela passe par une bonne communication avec les gens pour qu’ils puissent approfondir leurs connaissances, car aucun d’entre eux n’est une coquille vide.