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L’eau, notre responsabilité à toutes et à tous
Entretien avec Retno Marsudi, Envoyée spéciale du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies pour l’eau

(Photo : AdobeStock)
L’Envoyée spéciale du Secrétaire?général de l’Organisation des Nations?Unies pour l’eau, Retno?Marsudi, donne son point de vue sur ce qu’il convient de faire pour assurer la résilience hydrique pour toutes et tous à l’avenir. Engagée au niveau international en faveur des questions relatives à l’eau, elle soutient la mobilisation des énergies et des ressources dans ce domaine et le renforcement de la coopération internationale pour faire progresser l’agenda mondial de l’eau. Elle a été Ministre des affaires étrangères de l’Indonésie de?2014 à?2024.
Qu’est-ce que l’eau signifie pour vous ?
L’eau a toujours eu une dimension très personnelle pour moi.
En tant que femme, je vois bien à quel point les difficultés liées à l’eau touchent les femmes et les filles de manière disproportionnée. Dans de nombreuses régions du monde, les pénuries d’eau et l’accès limité à une eau salubre constituent un lourd fardeau pour elles en les contraignant à se déplacer sur de longues distances pour procurer de l’eau à leur famille.
Cependant, les femmes sont aussi à l’origine du changement. La réalité nous montre constamment, je crois, que le r?le moteur des femmes dans les questions liées à l’eau permet d’obtenir des résultats plus durables et plus équitables, non seulement pour ce qui est de l’eau mais aussi dans tous les domaines du développement.
J’estime également que la responsabilité de la gestion de l’eau va au-delà des engagements internationaux ou des mandats institutionnels. Il en va de notre existence même, de notre dignité et de la vie des générations futures. Parler de l’eau ne consiste pas uniquement à parler d’infrastructures ou de systèmes?; c’est aussi parler de survie. Il s’agit de protéger le fondement de la vie et les moyens de subsistance.
C’est pourquoi la responsabilité de traduire en actes les engagements mondiaux en faveur de l’eau est si importante. Elle ne se réduit pas à l’adoption de mesures. Il s’agit d’améliorer la vie de toutes et de tous, partout, en particulier la vie des personnes le plus souvent laissées pour compte.
Selon vous, quelles grandes priorités faut-il fixer pour protéger durablement les ressources en eau de la planète ?
L’eau est essentielle à la vie. Or, nos systèmes hydrologiques subissent actuellement un stress sans précédent dans le monde.
On estime que 2,4?milliards de personnes vivent dans des pays qui connaissent une situation de stress hydrique. En?2022, au moins 1,7?milliard de personnes dans le monde n’avaient d’autre choix que de boire de l’eau provenant de sources contaminées.
Les changements climatiques et les phénomènes météorologiques extrêmes aggravent encore cette situation, l’année?2024 étant la plus chaude enregistrée à ce jour. Il convient d’adopter d’urgence des mesures diversifiées, notamment de renforcer la recherche et les capacités, de renforcer le pouvoir d’agir des femmes et des jeunes pour favoriser l’innovation et de lancer de nombreuses autres actions.
Un élément indispensable est au c?ur de tous ces efforts?: la coopération internationale, elle-même fondée sur la solidarité internationale.
La coopération internationale est essentielle lorsqu’il s’agit de traduire les engagements internationaux en mesures concrètes. Malheureusement, le financement des actions liées à l’eau reste insuffisant et décro?t dans le monde. Or, il faudra 6?700?milliards de dollars supplémentaires d’ici?2030, et plus de 22?000?milliards de dollars d’ici?2050, pour répondre à la demande en eau et construire les infrastructures d’adduction d’eau requises.
Si nous souhaitons assurer la sécurité hydrique à l’avenir, nous devons accorder la priorité à des collaborations internationales audacieuses, notamment dans les domaines du financement, du développement technologique et du renforcement des capacités là où les besoins sont les plus importants.
Quelles sont les approches les plus efficaces pour améliorer l’efficience, la résilience et la durabilité en matière de gestion de l’eau ?
Je mets constamment l’accent sur le fait que l’eau est notre responsabilité à toutes et à tous quand je m’entretiens de cette question avec des représentants de pays et des parties concernées. Aucun particulier, aucun organisme, aucun pays ne peut à lui seul résoudre les problèmes liés à l’eau. Gouvernements, secteur privé, monde universitaire, organisations de la société civile, autres acteurs?: tous doivent unir leurs forces pour imaginer et mettre en ?uvre des actions dans le domaine de la gestion de l’eau.
Une approche multipartite facilite l’adhésion de tous, puisque tous les acteurs sont associés à la planification, à l’application et à l’évaluation des solutions en la matière. Cette fa?on de faire s’appuie sur la diversité des compétences et des capacités de chacune des parties prenantes.
Il est tout aussi important d’adopter une approche multisectorielle, qui intègre la question de l’eau dans toutes les dimensions du développement. La gestion intégrée des ressources en eau peut constituer une solution commune à de nombreux problèmes mondiaux, notamment l’élimination de la pauvreté, la résilience climatique, la sécurité alimentaire et énergétique, la réduction des risques de catastrophe et le renforcement du pouvoir d’agir des femmes et des jeunes.
Ces approches doivent reposer sur un cadre opérationnel solide. La méthode des trois???A?? (activités de plaidoyer, alignement et accélération des mesures) est fondamentale à cet égard?: activités de plaidoyer pour que l’eau soit érigée en priorité commune, alignement des initiatives liées à l’eau pour en assurer la cohérence, et accélération des mesures afin de stimuler l’innovation et l’action.
Enfin, nous devons saisir l’occasion de tirer parti des transformations introduites par la technologie pour améliorer l’efficience, la résilience et la durabilité de la gestion de l’eau. Grace à la technologie, nous pouvons assurer l’efficience de la gestion et de l’utilisation de l’eau. Nous pouvons produire plus –?plus de nourriture, plus d’énergie, plus de croissance économique?– avec moins d’eau.
Selon vous, quels sont les atouts majeurs de l’AIEA pour ce qui est de résoudre les problèmes liés à l’eau en s’appuyant sur les sciences et la technologie nucléaires ?
L’AIEA, qui accorde énormément d’importance à la recherche, au développement et au renforcement des capacités, a beaucoup à apporter.
L’hydrologie isotopique est un excellent exemple du potentiel de transformation que recèlent les sciences nucléaires quand il s’agit de résoudre des problèmes complexes liés à l’eau. Sa capacité à déterminer avec précision l’origine, l’age et la qualité de l’eau constitue une véritable révolution pour la gestion des ressources en eau.
L’hydrologie isotopique nous apporte également une compréhension approfondie des systèmes hydrologiques mondiaux, ce qui nous permet non seulement de relever les défis existants mais aussi d’anticiper les risques de catastrophe liés à l’eau et de nous y préparer. Elle renforce les capacités d’alerte rapide et la planification de la résilience hydrique à long terme.
J’encourage l’AIEA à continuer de faire de l’application des sciences nucléaires une priorité pour relever les défis les plus pressants, en particulier ceux qui touchent de manière disproportionnée les pays en développement, notamment la sécheresse et les pénuries d’eau, les risques d’inondations causées par des conditions météorologiques extrêmes et la pollution de l’eau. Je pense que, par l’utilisation des sciences et de la technologie nucléaires, l’AIEA contribuera à renforcer la résilience hydrique mondiale.
Qu’attendez-vous et qu’espérez-vous de la Conférence des Nations Unies sur l’eau qui se tiendra en 2026 ?
Les attentes et les espoirs exprimés régulièrement par les pays et les acteurs de l’eau dans le monde?: telle est ma boussole.
On attend beaucoup de l’édition?2026 de la Conférence des Nations?Unies sur l’eau, dans la mesure où elle constituera un jalon important pour le progrès des questions liées à l’eau dans le monde et une occasion décisive d’accélérer la réalisation de l’objectif de développement durable no?6 (eau propre et assainissement).
La conférence devrait également permettre de nourrir la réflexion et d’influer sur l’avenir de l’agenda mondial de l’eau au-delà de?2030. En effet, il est de plus en plus évident que, pour assurer l’avenir de nos ressources en eau, nous devons non seulement agir immédiatement mais aussi savoir ce que nous voulons pour demain, pour les personnes comme pour notre planète.
La réussite de l’édition?2026 de la Conférence des Nations?Unies sur l’eau dépend grandement de l’importance de l’engagement des pays et des acteurs de l’eau dans le monde. Il ne sera possible d’obtenir des résultats significatifs et concrets qu’au terme d’un processus de préparation transparent et inclusif. Je me réjouis à la perspective de collaborer avec l’AIEA à la réalisation de cet objectif.